Le sténopé n'est pas une des techniques de tirage, comme la gomme bichromatée, le papier salé,
le platine, etc.., qui sont décrites sur ce site. C'est un instrument permettant de projeter une image sur une surface,
photosensible ou non.
Alors pourquoi en parler ici?
Cet article n'a pas l'ambition de faire un tour exhaustif de la question ; une recherche sur internet, ou les liens au bas de cette page vous fourniront toutes les informations que vous pourriez désirer. Il vise simplement à remettre à l'honneur un type de photographie qui, si elle est beaucoup pratiquée, reste encore insuffisamment appréciée, étant souvent considérée avec un peu de condescendance comme un simple amusement pour enfants. À quelques exceptions près, elle reste relativement peu connue, à l'écart des galeries d'art, des circuits commerciaux et des modes.
Dès le 5e siècle avant JC, la projection d'une image extérieure sur le mur d’une pièce obscure au travers d'un petit
trou dans le mur opposé a été décrite par le Chinois Mo Ti.
Il a fallu attendre le 3e siècle avant JC pour qu'en Occident, Aristote pose la question de savoir pourquoi le soleil, passant par un trou
carré, projetait une image ronde.. Cette question, connue comme le problème d'Aristote ne trouva une réponse
qu'en 1521, dans l'ouvrage Photismi de lumine et umbra
de Franciscus Maurolycus.
En Afrique, un mathématicien et physicien arabe, Ibn Al Haitham, a observé au 10e siècle que la netteté de l’image
projetée dépendait de la grandeur du trou par lequel passait la lumière.
Tous ces travaux, et bien d'autres encore, on permis à Leonardo da Vinci de consigner la première description précise d'une
camera obscura dans ses Carnets en 1502.
On pourrait croire que les appareils à sténopé , plutôt rudimentaires, ont été les premiers appareils
à être utilisés en photogaphie. Il n'en est rien. Déjà les chambres noires de Giovanni Battista della Porta au 16e
siècle ou de Johann Zahn au 17e, étaient équipées de lentilles. Les premiers pas en photographie
(inventée en 1839) ont été faits grâce aux objectifs à lentilles. L’utilisation du sténopé en
photographie n’est apparue que plus tard.
Les objectifs à lentilles ne sont donc pas apparus pour améliorer une netteté des photos au sténopé qui aurait
été relativement médiocre, mais avant tout pour améliorer la luminsité des images projetées. De nombreux
scientifiques ont très vite cherché et trouvé des formules mathématiques pour déterminer le
diamètre optimal du sténopé, afin d'obtenir l'image la plus nette possible. Ainsi Joseph Petzval dès 1857. Et Lord Rayleigh
en 1889, qui cherchait à utiliser le sténopé en astronomie, et finit par définir une formule qui selon ses dires, permettait de
réaliser des images d'une définition équivalente à celle des images formées sur nos rétines. Cette formule est
encore utilisée aujourd'hui. Elle n'est pas la seule. Au cours des quelques 145 années de l'histoire de la photographie au
sténopé, plus d'une cinquantaine de formules, toutes légèrement différentes, ont été
proposées. Et des photographies d'une netteté surprenante ont été réalisées. Ceci dit, la netteté n'est
certainement pas la première qualité recherchée par les adeptes du sténopé...
En fait, la photographie au sténopé est un peu tout cela à la fois.
Elle est ludique. Elle ne demande ni équipements coûteux, ni installations encombrantes. On peut fabriquer son appareil à partir de
tout et n'importe quoi: un seau, une poubelle, une boîte à film, voire un poivron… les limites sont celles de votre imagination. L'absence de
visée, l'effet des poses longues qui peuvent se compter en minutes ou même en heures, les déformations provoquées par les
formes diverses du fond de la boîte font apparaître en chambre noire des images surprenantes, inattendues.. Une activité accessible donc, et une
activité-plaisir.
Mais elle permet également un apprentissage de tous les principes de base de la photographie argentique ou numérique; c'est une
école hors pair de patience, d'observation, de créativité. Pas étonnant dés lors que cette activité ait
donné lieu à d'innombrables ateliers pédagoqiques…
En totale rupture avec la pratique courante, cette façon de photographier permet à chacun de ré-inventer son propre langage. De
renouer poétiquement avec une approche brute, non-apprêtée de l'image. De ré-interroger notre rapport au temps, à
l’instantanéité, au réel. D'élargir le champ de nos sensations, de nos émotions, et de traduire l'instabilité du
monde.
Il n'est dès lors pas étonnant que vers le milieu des années 1960, après une éclipse d'une vingtaine d'années,
un certain nombre d'artistes pas nécessairement photographes au départ ont recommencé à explorer ses
possibilités et à s'intéresser à son esthétique et sa philosophie si particulières. Leurs motivations peuvent
être très diverses.
Les uns y ont vu le moyen d'affirmer leur filiation avec le mouvement pictorialiste qui connut un regain d'intérêt dans les années
1970, en choisissant de combiner sténopé et techniques photographiques anciennes cyanotypie, gomme, platine, etc..
Le sténopé leur permettait par ailleurs de réaliser les grands négatifs nécessaires à ces techniques de tirage
par contact.
D'autres ont été attirés par le côté expérimental. Déformations, visée aléatoire,
réflexions internes ou surfaces sensibles périmées au comportement imprévisible: tout est bon pour qui recherche
l’imprévu, l’inattendu, les surprises des ratés providentiels.
Actuellement, les amateurs de solargraphies exposent un papier photo en extérieur pendant quelques jours ou plusieurs mois et
enregistrent les trajets du soleil dans le paysage, mais aussi des phénomènes inattendus: couleurs étranges dues à la longue
exposition, formes bizarres causées par l'humidité et les écarts de températures..
Tout cela donne des images éphémères, qui ne peuvent êre développées et qui doivent être
scannées ou rephotographiées pour que l'on puisse en garder une trace … si du moins la boîte à sténopé n'a
pas disparu avant le fin de l'expérience! Un sommet de la slow photography…
(Note de l'auteur: contrairement à ce qui est dit ci-dessus, et à ce qu'on trouve dans de nombreuses publications, j'ai pu
fixer le "négatif" sans problème: l'image a d'abord complètement disparu, pour revenir après lavage, séchage et
exposition à la lumière. Un coup de chance? Ou? À vous de mener vos expériences, en commençant par scanner le
négatif par mesure de précaution.. J. Kevers).
Enfin, certains se servent de la photographie au sténopé pour en faire un instrument de dialogue, visant à concilier
les différences culturelles
et la cohésion sociale. Ainsi le projet de l'atelier Graphoui, approuvé par la Région de Bruxellescapitale, qui se
propose d'aller à la rencontre des habitants de différents quartiers avec une caravanesténopé utilisée comme
studio de portrait, laboratoire d'initiation à différents modes d'expression, et en finale véritable laboratoire de rencontres.
Je ne m'étendrai pas sur ces aspects. Vous trouverez ailleurs dans la partie technique de ce site des conseils pour la construction d'un sténopé (le trou), un exemple des différentes formules intervenant dans la construction d'un appareil à sténopé appliquées à un cas concret, et un calculateur sténopé présenté sous forme d'une feuille de calcul Excel. Ce calculateur a été adapté d'un modèle trouvé sur internet, et est publié ici avec l'accord de son auteur. Rappelez-vous cependant qu'il existe un grand nombre de formules différentes! N'oubliez pas non plus que la régularité du trou, et la propreté de ses bords ont au moins autant d'importance pour la qualité de l'image que la précision de son diamètre…
Temps mesuré/calculé | Coefficient compensation | Temps corrigé |
---|---|---|
1 s. | x 1,25 | 1,25 s. |
5 s. | x 1,5 | 7,5 s. |
15 s. | x 2 | 30 s. |
45 s. | x 2,5 | 135 s. |
2 min. | x3 | 6 min. |
5min | x4 | 20 min. |
10 min | x5 | 50 min. |
20 min | x6 | 2 h. |
40 min | x8 | 5h20 |
Gardez également à l'esprit que dans le cas d'une pose longue, il faut tenir compte de l'effet Schwarzschild:
en-deça de 1/1000e sec et au-delà de 1 sec, les supports sensibles réagissent moins rapidement à des
augmentations/réductions de temps de pose, et il faut tenir compte d'un facteur de compensation.
L'importance de cette compensation varie en fonction du type de support (papier ou film), et de sa marque.
Les résultats trouvés par calcul théorique ne vous donneront donc qu'une base de départ, à interpréter en fonction
de vos expériences personnelles. À titre indicatif, vous trouvez ci-contre une liste de compensations suggérées, à
adapter en fonction de vos propres expériences
Nº | Diamètre | Nº | Diamètre | Nº | Diamètre | Nº | Diamètre |
---|---|---|---|---|---|---|---|
1 | 1,17 mm | 4 | 094 mm | 7 | 0,69 mm | 10 | 0,46 mm |
2 | 1,09 mm | 5 | 0,86 mm | 8 | 0,61 mm | 11 | 0,42 mm |
3 | 1,02 mm | 6 | 0,76 mm | 9. | 0,53 mm | 12 | 0,35mm |